46-LE COQ GUILLOTINE

Publié le par Djipy

LE COQ GUILLOTINE

Je n’ai pas connu mes grands-parents paternels,
Je n’ai pas connu ma grand-mère maternelle … 
Je l’ai entr’aperçue au dépôt mortuaire
De l’hôpital municipal de Grange-Misère :
Décédée en 43, elle avait 69 ans, je n’avais pas encore 10 ans !Souvenirs indistincts, diffus, ténus, confus et incertains !

Par contre, j’ai connu plusieurs jours mon grand-père …
C’était 2 ou 3 ans, je pense, après la mort de grand-mère.
( Donc peut-être en 1946 )

Édouard, le père de ma mère, vivait à Seyssel
Et n’avait plus qu’un œil,
En attachant une de ses vaches,
Une plutôt vache lui avait crevé l’œil !

J’ai connu avec lui son cellier, haut perché dans ses prés.
Là, après la grimpette, un p’tit coup de Roussette.
Il l’a sirotait, il s’en régalait et bien sûr observait :
Tout près sa petite vigne… Il semblait si fier de sa vigne !

Ma mémoire est là, ne va pas au-delà !
Pourquoi ! Pourquoi les enfants ne gravent-ils pas
Dans leur souvenir
Les faits dont ils sentent pourtant qu’ils vont
Pour toujours s’évanouir ?

De Seyssel à Bellegarde, en train, c’est une ballade.
Mais après, faut marcher pour Châtillon de Michaille.
Ça grimpe, un soleil fou se déchaîne,
Le goudron en pleure de sueur…

Ma mère et moi peinons, moins chargés que des ânes ;
Nous allons chez sa sœur, Anne,
Sa sœur Anne (qui ne voit rien venir…le soleil qui poudroie…etc.)

Elle nous a invités, mais c'est dur d'y arriver !
Nous sommes épuisés, un camion nous a dépassés
Et plus loin a stoppé :
Il est bourré de troufions hilares, reposés et goguenards.

Ils nous engagent à monter ; dans la cabine pour ma mère,
Moi, avec les soldats … à l’arrière.

Ce fut de courte durée, nous étions arrivés … 
J’aurais bien continué !
D’autant que je les faisais marrer
Avec mes réponses délurées…

Ma mère est repartie à Lyon,
Je suis resté avec toutes mes cousines.
Quelles vacances merveilleuses j’ai passé
Chez les Muzza et leurs filles !

(Bernard, le garçon n’a qu’un an, Monique n’est pas encore programmée.)
_
 
Quelle décontraction de ces parents
Qui se marrent facilement !
Joie innocente de la tante Anne,
Bonheur paisible de l’oncle Louis !

Pourtant, l’oncle Muzza travaille dur,
Au barrage de Génissiat, et de nuit !

A la veillée, un car l’emmène au boulot et le ramène le matin.

Un soir, il m’a stupéfié : il m’a invité
Et il m’a fait visiter ‘’son’’ chantier.

Les lumières dans la nuit, l’étendue des travaux …
On semble voir à quai, un immense paquebot,
Les multiples échafaudages comme autant de ponts illuminés,
Le vacarme des engins, des grues et des bétonnières
Dégueulant leur substance,
Et les prisonniers allemands, tassant le béton en le piétinant
Dans les banches !

Et ces milliers de fourmis besognant dans la nuit,
Comme égarées mais combien ordonnées ! 
 Obéissant à une loi invisible et suprême !
Pour moi, c’est un fichu problème !
+++
Mes cousines et la tante Anne constituent
Le meilleur des publics !
Jeune paon dans ce milieu, je crâne tant que je peux !
J’ai confectionné avec bricoles et chiffons
Une marionnette genre Gnafron.

Derrière la porte ouverte, je manipule Gnafron
En racontant des sottises …
De l’autre côté, tante et cousines rigolent
Et applaudissent à mes bêtises !

Parfois, la tante Anne pleurait tant elle se marrait :
 Sa culotte elle mouillait ! ! !

C’est ce qu’elle disait : bonheur tout simple,
Naturel, sans contrainte !
_

Avec Josette, l’aînée et Dédée qui a mon âge,
Les petites Michelle et Anne-Marie,
 
Il y a Bernadette : plus jeune que moi,
Elle est dégourdie et maligne comme un singe !

Dans la remise jouxtant leur habitation,
L’oncle Louis a installé des anneaux de gymnastique ;
Bernadette, d’une extrême souplesse,
Tente de m’apprendre ses numéros de cirque.
___
Un jour de canicule, en escapade,
Je l’entraîne pour une baignade ;
Au fond du vallon coule normalement la Valserine,
Nous pourrons nous rafraîchir.

Nous marchons longtemps, sans fin … 
Mais c’est au diable vauvert !
Plus nous approchons, plus s’éloigne cette maudite rivière.

Et plus nous approchons, plus nous nous entêtons :
Pas question d’abandonner, nous sommes presque arrivés …

Bernadette, ma petite cousine intrépide 
Me fait confiance et me suis, candide !
....
 
Finalement, nous avons trouvé la " Valserine " mais,
Au retour, la "valse" que nous avons pris ne nous a pas sou"ri".

Nous étions partis sans avertir, en douce.
Et la tante Anne, tellement inquiète et pourtant si douce 
Nous a passé un savon pas piqué des hannetons.

Elle a évacué par ses remontrances
Ses craintes et ses souffrances !
.....
 
(J’étais bien un affreux Jojo ! 2 ans plus tôt, à St-Sylvestre, 
j’avais entraîné ma sœur ‘’en douce’’, voir des chevaux dans un autre hameau ! )
___
 
Un jour, l’oncle Louis m’a investi d’un pouvoir de grand mufti.
Pensez, je devais l’aider à tuer un poulet !
Dans la remise aux anneaux, il y avait aussi un billot ;
Je devais tenir fermement les pattes du poulet
D’un côté du billot ;
L’oncle Louis, de l’autre côté, avec une corde passée
A la tête de l’animal, tendrait son cou !
De sa main libre, armée d’une hache,
Comme un bourreau, il lui couperait le cou !

« Tu es prêt ? Ne bouge plus ! J’y vais ! »
CLAC ! La hache a tranché, la tête sectionnée, le sang a coulé !Le coq sans tête s’est débattu en battant des ailes
Et des pattes comme un forcené…

Bien sûr, pris de panique, j’ai tout lâché…
Le coq sans tête, pissant le sang, a pris son envol,
A buté contre le mur derrière nous,
Puis a cogné le mur du fond de la remise,
Puis est revenu sur nous pour tomber à nos pieds !

Encore quelques soubresauts et plus rien …
Mais du sang partout !
_

L’oncle, la tête du coq pendue dans sa main
Au bout de la ficelle
 
M’a regardé en silence, quelques secondes…

Une éternité ! … Puis a éclaté de rire !
Je crois qu’il était aussi surpris que moi …

Avec de la sciure, nous avons nettoyé les dégâts
Avant de plumer la bestiole.

La narration que nous avons dû faire de cette histoire a été,
A la veillée,
Avec cousines et tante, un sacré moment de détente !

Djipy. Août 2004

En 2005, après le pic-nic du 16 juillet à Maclas, j'ai envoyé ce texte à ma cousine Monique, la petite dernière de la tante Anne et de l'oncle Louis...

Elle m'a répondu que c'est elle qui a pris le relais pour tuer les coqs, les autres membres de sa famille se dégonflant lamentablement...

 

Publié dans Tendre souvenir

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