45-LE MULOT VENGEUR

Publié le par Djipy

LE MULOT VENGEUR

Nous avions 17 ans, nous étions 4 copains.
Et pour le Nouvel An, nous, gamins citadins,
Nous retrouvions dans ce presbytère déserté,
Prêté par le curé des villages d’à côté !

Nous étions pour 4 jours à Château-Bernard, Puy Grimaud,Sous le col des Deux Sœurs,
Qui permet d’atteindre la Grande Moucherolle 
Et Villars de Lans par la montagne !
_

Nous venions pour skier, mais surtout nous marrer
Car nous étions novices et très mal équipés …
La neige pleine de malice riait de nos loupés !

C’était la première fois, elle ne comprenait pas …
Elle était peu épaisse, friable, pleine de mollesse,
Nous étions trop patauds sur son si blanc manteau,
Chaussés d’immenses planches de bois,
Et qui glissaient de surcroît … Allez savoir pourquoi ? ? ?

J’ai même cassé un ski que Robert mon grand frère 
M’avait recommandé de soigner comme un père ; 
La spatule dans le sol s’est plantée : crac ! Le ski s’est cassé…
_

De retour dans notre presbytère-bercail, 
Nous voulions, c’est bien normal, faire ripaille : 
Feu à allumer, patates à éplucher,
Carottes à gratter, poireaux à nettoyer,
 
L’eau doit frissonner, il faut la saler,
Jeter les denrées que l’on a coupées…

Imaginez ce qu’une simple soupe
Entraîne comme parlotes dans un groupe
 
Où chacun doit brailler pour se faire écouter !

Tous sont des puits de science, ont des connaissances 
Et beaucoup d’expériences !  !  ! 
Pensez, le plus âgé a juste 17 années, 
Et il est parti chercher du lait à la ferme d’à côté 
Où la fille de la maison l’attire pour diverses raisons !

 __

L’hiver s’en est allé, maintenant c’est l’été ! 
Je suis moniteur de colo ‘’diplômé’’ 
Dans un camp situé plus bas dans la vallée. 
Nous logeons dans une porcherie qui n’a jamais servi. 
C’est à Saint Guillaume, en dessous de Château-Bernard
Où j’étais en début d’année !

Maintenant, là-haut, c’est un camp de vacances
Pour les adolescentes du quartier.
 
Nous irons leur dire bonjour, sûrement un de ces jours …

(Et revoir je l’espère, la magnifique ‘‘laitière’’ rencontrée cet hiver ?)

Mais je n’attends pas ce moment,
Bien trop ardent, trop impatient !
 
C’est mon jour de congé, après le déjeuner, 
Je fonce dans la montée voir la fille du fermier !

Je ne l’ai pas oubliée, nous avions sympathisé 
Quand elle nous vendait son lait et ainsi nous dépannait. 
Elle peut se libérer…Je n’osais l’espérer !

On va se promener et pouvoir discuter … 
Faire vraiment connaissance et peut-être s’apprécier, 
Si nous avons la chance et des affinités …
_

Le chemin serpentait en faisant des lacets, 
Des méandres gracieux, des virages astucieux !

Main dans la main, paisibles, nous avançons, tranquilles… 
Brusquement, à un détour du chemin, 
Surgit en hurlant une bande de gamins ! 
Ce sont mes petits colons, mes petits campeurs !

Ils m’ont reconnu et me pourchassent tous en chœur. 
Qui pourrait les retenir ?
 Ils sont bien trop heureux pour arrêter ce jeu.

Comment les retenir ?
Les monos responsables en sont bien incapables.
Et sont sûrement contents de ce précieux contretemps !
_

Je cours comme un mouflon, la fille sur mes talons … 
Quel réflexe lamentable ! Réaction de coupables ! 
Cette horde à nos trousses nous donne une telle frousse 
Que nous la semons un peu, trop peu,
Derrière une épingle à cheveux.

Là, on voit au bord du chemin,
Une cabane qui nous tend ses mains !
 
Deuxième réaction lamentable, encore un réflexe déplorable ...
 
Nous nous cachons dans cette cabane de cantonnier, 
La verrouillons et en devenons prisonniers !
_

A peine une minute plus tard, la meute fait un tintamarre 
Contre porte et parois de la cabane en bois.

Nous n’osons pas bouger, n’osons pas respirer 
Bien qu’étant essoufflés d’avoir tant cavalé…

Les gamins déchaînés tapent de tous les côtés, 
La porte va s’affaisser ou l’ensemble s’écrouler !

Les planches sont distantes, ils regardent par les fentes, 
Bien sûr m’ont reconnu, réputation fichue !
 _

Les monos, sans se presser, sont enfin arrivés 
Et vont bien sûr calmer cette horde désordonnée.

Ces gosses de 11-13 ans sont tout émoustillés… 
Je deviens l’artisan de leur rêve éveillé…

Et ils n’ont pas fini de jaser, de gloser, le soir à la veillée …
...

Dès que cette troupe infâme daigne s’éloigner, 
Je voudrais, devant la fille, m’évaporer. 
Notre bien naïve et tendre amourette, 
A peine commencée est aux oubliettes !

Je le lis dans ses yeux dont je suis amoureux. 
Nous nous quittons en nous disant au revoir 
Mais en sachant tous deux que c’est illusoire !
_

Le camp se poursuit gaiement,
Les gosses me chambrent gentiment,
Mais ça ne dure pas longtemps.
...

La mangeaille périssable, provisions et denrées 
Sont conservées dans un réduit bien fermé.

La confiture pour colo, boite métal de 5 kilos,
Dort dans cet ‘’entrepôt’’.

Quand elle est entamée, cette boite avec son dessus 
Encore attaché fait une trappe à bascule. 
Ce jour-là, patatras ! 
Dans la boite presque vide s’agite un rat stupide !
 
Un gros rat de campagne, aussi gras qu’un chanoine ! 
Mais velu, moustachu, et plutôt malvenu … 
Campagnol ou mulot, on ne sait pas trop.
_

Aussitôt germe dans mon esprit tordu,
Une idée diabolique et saugrenue.

Faire un paquet-cadeau, le porter à Port-Grimaud,
 Aux filles de la colo …
 
Elles nous ont invités, nous devons y aller … 
Nous leur ferons ce don, ce cadeau-poison !
_

Après le déjeuner, la troupe enthousiasmée
Ne s’est pas fait priée
 
Pour se précipiter dans la pénible montée.

Sans être chronométré, je peux vous assurer
Qu’un record est tombé :
 
Le temps du parcours n’a jamais été aussi court.

Les gamins cavalaient tout au long du trajet !
_

Chez les filles arrivés, le cadeau est donné, 
Fiévreusement déballé par ces donzelles émoustillées …

Un hurlement prolongé, strident, perçant, 
Si aigu qu’il pourrait crever les tympans ! ! !

Dans le même temps, tout en criant,
Les filles terrifiées sautent sur les bancs,
 
Grimpent les escaliers, montent sur les tables, 
Torturées de peur, s’échappent en hurlant,
Livides de frayeur !

Nos gamins jubilaient, c’était mieux qu’ils pensaient...
Et bien sûr ils crânaient !

Mais pour récupérer le mulot, y’avait moins d’amateurs ! 
C’est finalement le sous-dirlo le meilleur poursuiteur. 
Il l’a vite cravaté mais l’a bien regretté 
Car ce sacré mulot, dans un dernier sursaut, 
S’est pendu à son doigt et ne le lâchait pas :

Les dents pointues du rongeur crispées sur l’index chasseur !
_

Je crois qu’on a dû estourbir le rat
Pour sortir le doigt de ce mauvais pas…

Je ne m’en mêlais pas mais errais profil bas : 
Penaud et dépité, regrettant mon idée, 
Que tous avaient approuvée mais qu’un seul avait payée !

Je n’avais pensé qu’aux bons côtés de la blague 
Sans imaginer que ça tournerait au drame.

Djipy juillet 2004

Publié dans Honteux souvenir

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