05-DEGRINGOLADE

Publié le par Djipy

05-DEGRINGOLADE

Durant les années trente, je parle mil neuf cent trente, 
Vint au monde ce garçon, le quatrième de la maison. 
Il fit ses premiers pas lorsqu’il eut ses douze mois 
Comme le font les enfants quand ils sont bien portants.

Mais, pour se déplacer sur les marches d’escalier, 
Trop conscient du danger : il marchait à quatre pattes, 
Comme font tous les bébés qui n’sont pas acrobates !

Faut dire que cet escalier était vraiment spécial : 
Difficile à grimper, beaucoup trop vertical … 
La maîtresse de maison, pour ses quatre rejetons, 
S’en plaignait souvent, redoutait l’accident !
_

Le petit bambino possédait une auto, 
Un modèle réduit en tôle emboutie, 
D’une voiture de l’époque imprécise et mastoc … 
Des pattes métalliques reliaient entre eux, 
Châssis, carrosserie, et l’ensemble aux essieux …
_

Ce jouet pourtant anodin était convoité par le petit voisin : 
Un gaillard de trois ans, taillé comme à cinq ans ! 
Il a arraché des mains du bambin qui n’a pas lâché, 
La petite voiture aux griffes acérées …

Il en est résulté une main dilacérée 
Sur la longueur de la paume, du poignet jusqu’aux ongles !
___ 

De ce jour, main bandée, le bébé handicapé, 
A mille difficultés pour monter l’escalier ! 
Ce qui devait arriver n’a pas tardé : 
Il a dégringolé du haut du palier …
__ 

Est-il possible de se souvenir lorsque l’on a que douze mois ? 
Ou bien est ce un instantané dont il a rêvé plusieurs fois, 
A force d’entendre raconter ce qui était arrivé ! ! !

Le bébé d’alors prétend maintenant qu’il revoit son père 
Penché sur lui, en bas de l’escalier, qui le récupère !
---

Bien plus tard, sa mère lui a raconté : 
« Après, tu ne savais plus marcher, 
Si on te posait, tu t’affaissais !

Comme une poupée de son ! »
C’était son expression…

Quant au fils du voisin, ce gros lourdaud, 
Il était gratifié de tous les noms d’oiseaux ! 
_

Combien de temps le père de l’enfant bousillé 
A-t-il dû l’emmener pour le faire soigner, 
Dans un grand hôpital, chaque samedi matin ?

Biberon matinal, prendre un car, puis un train, 
Changer d’un tacot lascif pour un train plus poussif, 
Gare d’arrivée, marcher, marcher, 
Prendre un tramway, marcher, encore marcher …

Salle de consultation, attendre … 
Encore attendre  …  l’auscultation …

Puis, puis … en fin de journée, revenir, rentrer …

Exténués ! 
_

Combien de fois ont-ils fait la navette ? 
Pour des soins qui ne valaient pas pipette. 
L’enfant s’était payé une fracture du rocher, 
Problème d’oreille interne, soudure des osselets, 
Enclume, étrier, marteau ne forment plus qu’un seul plot ;

Il est sourd d’un côté, mais remarche sans tomber …
+++ 
A tel point qu’au retour d’un de leurs longs parcours, 
Le bambin galopa vers sa mère en criant :

«  Regarde bien, le voilà, le biberon, Maman !

Tu vois, l’est pas cassé, tiens, prends, je te le rends ! »

Et dans le même mouvement,

Patatrac,... il lâche le récipient !

Le biberon était en verre, il se cassa par terre … 
En milliers de morceaux, vous voyez le topo ! 
Bien des années après, le papa de l’enfant, 
Très souvent racontait ce retour ‘’éclatant’’ !

Aux larmes il riait en mimant la scène ; 
Pleurait tant il riait, pleurait comme une fontaine ! 
Ses yeux clairs ruisselaient, perles glissant sur ses joues : 
Sa moustache il mouillait … Il reniflait un coup …

Au patro, à l’école, l’enfant devenu grand, 
Souffrait d’être demi-sourd, du moins, malentendant. 
En classe, interrogé, s’il séchait, on lui soufflait ; 
Mais lui restait muet … L’enseignant se marrait … 
Bien qu’à l’autre bout de la pièce, le maître, lui, entendait, 
Ce que tous ses copains, tout proches, lui chuchotaient !
_

Il pourrait raconter les mille difficultés 
Trop souvent rencontrées, comme on se sent frustré, 
De devoir faire répéter ou de répondre à côté … 
« Et passer pour un crétin qui ne comprend rien à rien ! »
_

S’il va au restaurant dans un endroit bruyant, 
Avec un groupe d’amis, son tout premier souci, 
C’est d’essayer d’être placé où il pourra écouter ! … 
Ce sont les tables circulaires qui font le mieux son affaire : 
Il peut lire sur les lèvres, ça complète son oreille !

Au fil des années, il a dû ruser 
Pour tenter de cacher cette infériorité,

Cette invalidité dont l’avait gratifiée,

Indirectement, involontairement :

Un bambin de trois ans !

 

Djipy mars 2001 

Publié dans Miséreux souvenir

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P
Pourquoi avoir caché ce handicape, ce n'est pas une tare.<br /> Nulle n'a le droit de se moquer d'une maladie ou d'un accident cela peut arriver à tout le monde.<br /> c'est déjà assez embêtant pour vous, sans encore à avoir à subir la méchanceté des gens
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