52-L'APPRENTI CHAUFFEUR

Publié le par Djipy

L’APPRENTI CHAUFFEUR

 

J’étais encore soldat, ça ne finissait pas !
La guerre en Algérie, c’était l’amphigouri…

C’était que des salades, de la fanfaronnade,
Que nos chers gouvernants assénaient à tous vents !

La 54/2A était maintenue là, servait sous les drapeaux !
Elle n’avait pas de pot …

Nous n’étions pas gâtés, mais juste pénalisés
D’avoir nos 20 balais
Quand partout ça chauffait !

En Indochine d’abord, cuvette de DIËN BIËN PHÜ
Décidé sans remords par nos meneurs casse-cou !

En Algérie après, où les tracas commençaient :
Il fallait des soldats, donc des petits français !

« Toujours plus de bonhommes pour stopper le désordre »
Les gens du contingent n’étaient pas suffisants ; 
On rappelait en masse, on maintenait des classes…
Le service militaire ne finissait jamais,
C’était l’impression que tous avaient !
***

(*** Ce passage en italique est la copie fidèle du 2ème paragraphe de: 
"30-PREMIERS SAUTS EN PARACHUTE")

Les jours s’éternisaient, semaines et mois passaient,
Le moral à zéro, s’en était vraiment trop ! …

J’étais caporal-chef, on disait ‘’cabot-chef ’’,
Chef de tous les ennuis quand il y avait un souci !

Mais je m’en tirais bien, nous étions tous copains,
Cabot ou simple troufion, rêvions ‘’libération’’ !

Tous dans la même galère, nous ramions de concert …
Il fallait s’épauler et plutôt s’entraider !

Attendre patiemment la quille
Qui s’esquivait comme une anguille …

A Longeville les Metz était notre caserne,
Et à Ars sur Moselle, le stock de notre matériel.
Dans une unité du Génie, c’est encombrant et hors de prix !
C’était un imposant dépôt constitué de multiples entrepôts …
Comme une petite bourgade, hangars en enfilade,
Séparées par des rues, l
arges comme des avenues !
_
Un numéro figurait sur chaque bâtiment
Et un petit coffret était sur le devant …

Dans ces coffrets une clé différente se trouvait,
Une sorte de tampon propre à chaque hangar !

C’était pour contrôler l’équipe de faction
Qui devait dans la nuit faire plusieurs inspections …

Le chauffeur du camion amenait sans passion,
Le soir la tambouille du soir,
Les horaires des tournées, l’ordre de visite des hangars,
Et l’engin de contrôle qu’on appelait ’’mouchard’’ !
 _
Selon l’ordre imposé de passage,
Certaines rondes tournaient au bizutage :
Elles obligeaient à passer plusieurs fois au même endroit,
A repasser d’où l’on arrivait,
A frôler un bâtiment que l’on venait
De quitter cinq ou dix minutes avant.
_
 La garde de ces entrepôts durait une semaine :
En temps que cabot-chef, j’étais chef du domaine …
Mais, le vrai chef était le maître-chien :
Lui était permanent avec son chien.

A part les tournées de nuit
Avec le chef de poste, deux soldats et le chien,
Il faisait ce qu’il voulait de ses journées :
Pas de manœuvres, de tirs, de corvées …

Il avait en tête l’implantation des dépôts,
Leur numéro dans cet immense imbroglio ;

Sans lui, les tournées ‘’mouchardées’’,
La nuit, n’auraient pu être abordées !

Sans fin, nous aurions erré
Pour trouver les hangars numérotés :
Sans jamais respecter les horaires imposés …

Comme vous l'imaginer, punition à la clé !
¨¨
Chaque jour le chauffeur apportait notre rata,
Et pour le chien la viande de son repas …
Il était mieux nourri que nous et son maître,
Souvent, lui piquait un morceau de bidoche
Qu’il faisait cuire avec méthode
Et qu’on dégustait sans vergogne !

Et devant le clébard ... qui réclamait sa part !
_
Au cours d’une de ces gardes, en milieu de semaine,
Personne ne me regarde, je n’ai plus face humaine !
Je suis défiguré, complètement boursouflé … 
L’œil presque fermé par une joue gonflée !
J’ai même des difficultés pour parler,
A m’exprimer, tant je suis handicapé !
Au téléphone, au capitaine,
J’explique et bredouille mon problème !
.....
A midi, avec le camion du repas,
Arrive mon remplaçant qui n’en revient pas :
Hilare, se moque de moi, ne me reconnaît pas...
_
Revenu dans ma compagnie,
Je côtoie mes copains, marchant à leur côté …
Ils m’ignorent, ne me voient pas, ne me reconnaissent pas ! …

Faut dire que je leur montre mon plus vilain profil,
Comme un boxeur sénile après un match débile ! …

Dans ma détresse, à ce jeu, j’essaie de sourire un peu !

En me voyant, même le capitaine,
Oublie de me faire sa tronche hautaine,
Décroche son bigophone, de sa voix qui claironne,
Balance des instructions, fait taire les discussions.

En deux temps, trois mouvements, je me trouve à l’hôpital,
A plat, à l’horizontal !
Sur le siège d’un orthodontiste qui m’opère
D’une résection sur la dent ‘’de l’œil’’.

Bien soigné par ce jeune dentiste,
Mon double abcès a disparu en un clin d’œil …
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J’ai toujours désiré apprendre à conduire un véhicule :
Moto mais plutôt auto.

Il y a dix ans que la 2ème guerre mondiale est terminée,
Mais l’Indochine, puis l’Algérie l’ont relayée !

C’est dire combien le pays s’est méchamment appauvrit,
 Malgré le plan Marshall, les mesures radicales.

A cette époque là, des autos, y’en avait pas trop :
Seuls d’anciens tacots et les nouvelles 4 chevaux.

Plutôt que perdre mon temps et ma jeunesse à l’armée,
Je voulais être dédommagé !

Il fallait que j’apprenne à conduire.
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Jours et mois s’écoulaient, stériles et sans attrait.
Perdre mon temps bêtement me minait méchamment !
D’autant qu’à Villeurbanne m’attendait ma sultane ;
Elle piaffait d’impatience, manquait de tolérance !

L’état fantaisiste était esclavagiste,
Prenait nos libertés en toute légalité …
Le pouvoir pataugeait, les lampistes en souffraient.
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Régulièrement, mon tour de garde
Du matériel à Ars sur Moselle revenait …

Et midi et soir, le chauffeur et son camion
 Nous apportait repas et instructions.

Repas que je mangeais rapidement
Pour m’esquiver en douce, discrètement ...

Dans la cabine du big camion je grimpais ;
Contact, frein à main, première et démarrais !

Haut perché dans le G.M.C., je roulais autour des bâtiments,
Dans ces avenues sans danger, larges et désertes,
Puisque sans habitant !

Je manœuvrais ainsi un bon moment
Et ramenait l’engin exactement
A l’endroit où il se trouvait avant.
_
J’ai fait cette opération plusieurs fois
Sans que le chauffeur voit quoi que ce soit.

Je progressais rapidement, les vitesses passaient aisément,
Malgré la crainte d’être surpris par un gradé
Qui pouvait se présenter pour nous contrôler.
_
Un ou deux mois plus tard, pas tellement veinard,
Je me retrouvais encore à Ars sur Moselle
Comme chef de garde au dépôt de matériel …

Je me consolais à l’idée que j’allais me perfectionner
Dans la conduite du G.M.C…

Hélas, l’ancien chauffeur était parti,
Faire un vrai ‘’safari’’ en Algérie !

C’est ce qui arrivait à notre classe de bidasses,
Tous les deux ou trois mois : mutée dans la mélasse ! ! !
_
Nous avions parfois des nouvelles
Mais c’était de mauvaises nouvelles…

Untel a été rapatrié mais c’est parce qu’il a été blessé !
Tel autre surpris dans une embuscade
Est tué par une de ses grenades !
D’autres blessés sont amputés, ne reviendront plus entiers …
Et le pire, ceux qu’on retrouve morts, émasculés
Organes génitaux enfoncés dans le gosier !
 

_
Le nouveau chauffeur n’était pas un marrant,
Plutôt «boulot, boulot», donc fort emmerdant.

Il ne quittait pas son camion des yeux,
Comme si c’était son bien le plus précieux.

C’était dur de l’amuser pour détourner ‘’son’’ G.M.C.
D’autant qu’il le garait au plus près de l’entrée,
Soupçonneux qu’il était de le voir s’envoler …
_
Pourtant, en fin de semaine, sa vigilance schizophrène
S’est un peu relâchée et j’en ai profité !

En deux bonds suis dans le camion :
Contact, démarreur, première passée :
Embrayage, ça hoquette, ‘’deuxième’’, ça caquette !

L’engin se traîne, il me faut rétrograder.
Le schizophrène l’a sûrement bricolé !

Hors de la vue du chauffeur, en ‘’1ère’’, je ne sais que penser ?
Je tourne derrière un autre bâtiment,
Repasse la ‘’seconde’’ : c’est désarmant.
Je vais caler, ne pas insister, rétrograder, en ‘’1ère’’ rentrer. 
_
J’arrête le camion à son emplacement,
En descend et le vois fumer comme un dément …? ? ?
 
Arrive au même instant le chauffeur attitré,
Gueulant, vociférant, rouge, tout congestionné …

« Putain ! Qu’est-ce que je vais dérouiller,
Les freins sont maintenant flingués !
Ils sont tout neufs pourtant, refaits d’hier seul’ment …
Tu vas voir l’adjudant ! »
_
Le chauffeur a pigé, pour ne pas être pincé,
Me suis précipité,
ai roulé frein serré …
_
Je tente de me justifier, parle de sa vigilance,
De son manque d’humanité et d’amabilité …
Lui dit que dans douze mois, et peut-être vingt-quatre mois,
Lui aussi sera plus coulant, sera moins intransigeant !

Il comprend et se calme enfin,
Attend le refroidissement des freins
,

Remonte dans son engin et nous dit à demain !    

Djipy octobre 2005

 

N.B. – Il n’y a pas eu de problème avec l’adjudant pour les freins du G.M.C.
 J’avais paniqué mais trop peu roulé avec le frein à main serré !

 

Publié dans Honteux souvenir

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